Par  Dr Mohammad Salami

    Les relations entre l’Arabie saoudite et le Pakistan ont été tendues au cours de l’année écoulée, mais le 20 juin 2021, l’Arabie saoudite a accepté de relancer l’aide pétrolière au Pakistan d’une valeur d’au moins 1,5 milliard de dollars par an en juillet, selon des responsables à Islamabad.

    En 2018, le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MBS) a promis d’investir au Pakistan, et cette année-là, l’Arabie saoudite a accepté d’accorder au Pakistan un soutien en devises de 3 milliards de dollars, sur un an, et un prêt supplémentaire pouvant atteindre 3 milliards de dollars en paiements différés des importations de pétrole, afin d’éviter une crise des comptes courants. À partir de mai 2020, le prêt pétrolier a été suspendu.

    Cachemire ; défi entre les deux pays

    Les relations entre les deux pays se sont détériorées après que l’Arabie saoudite a décliné, le février 2020, la demande d’une réunion urgente de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), sollicitée par le Pakistan, pour traiter de la situation particulière du Cachemire due à l’intervention indienne. Le refus saoudien de convoquer une réunion de l’OCI a été vivement contesté par le Pakistan. En réponse, l’Arabie saoudite a annulé un accord pétrolier avec le Pakistan et a exigé le remboursement d’un prêt de 3 milliards de dollars. Le Pakistan a été contraint de se tourner vers la Chine pour rembourser le prêt, empruntant 1 milliard de dollars à Pékin. En outre, le proche allié de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, a interdit la délivrance de visas de travail aux travailleurs pakistanais, une source de revenus essentielle pour Islamabad. Les relations entre les deux pays se sont normalisées après la visite officielle de trois jours du Premier ministre pakistanais Imran Khan au Royaume d’Arabie saoudite (KSA) le 7 mai 2021, et l’accord suivant de l’Arabie saoudite pour reprendre l’accord pétrolier.

    Mais qu’est-ce qui se cache derrière l’aide pétrolière saoudienne au Pakistan ? L’Arabie saoudite a été confrontée à plusieurs problèmes régionaux ces dernières années. La participation à une guerre directe au Yémen et à plusieurs guerres indirectes comme en Syrie et en Libye, le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, les différends avec la Turquie et le Qatar, le printemps arabe et les menaces de groupes fondamentalistes comme les Frères musulmans, l’influence de l’Iran dans les pays arabes, la crise économique du Liban, la transition présidentielle américaine et les défis de Riyad en matière de droits de l’homme avec Biden. Mais l’une des menaces potentielles de l’Arabie saoudite dans la région est l’Iran, et la principale raison de l’accord pétrolier avec le Pakistan est de tenir Islamabad à l’écart de l’influence iranienne.

    Contrer l’influence de l’Iran

    La première raison de l’aide pétrolière saoudienne au Pakistan est de maintenir Islamabad à l’écart de l’Iran. Le Pakistan faisait partie des pays souhaitant participer au sommet de Kuala Lumpur, connu comme un bloc alternatif à l’OCI et initié par le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad en marge de l’Assemblée générale des Nations unies de 2018, avec ses rencontres avec les dirigeants de la Turquie et du Pakistan.

    Le sommet s’est tenu en décembre 2019 à Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie. L’événement, placé sous le thème « Le rôle du développement dans la réalisation de la sécurité nationale », a réuni des représentants du pays hôte ainsi que de l’Indonésie, du Pakistan, du Qatar, de l’Iran et de la Turquie. Quelque 450 dirigeants, universitaires, religieux et penseurs de 52 pays ont été invités, ainsi que le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’émir du Qatar Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani, le président indonésien Joko Widodo, le président iranien Hassan Rouhani et le premier ministre pakistanais Imran Khan. L’OCI s’est opposée au sommet, et le roi Salman a téléphoné à Mahathir Mohammad pour déclarer que les questions relatives aux affaires musulmanes devaient être traitées par l’OCI.

    Tous les présidents présents au sommet, y compris les dirigeants de la Turquie, du Qatar et de l’Iran, sont de grands rivaux de l’Arabie saoudite dans la région. En raison de son insistance et de ses menaces, l’Arabie saoudite a empêché le premier ministre du Pakistan d’assister au sommet. L’Arabie saoudite a tenté de conclure un accord avec le Pakistan afin d’empêcher les éventuelles initiatives futures du Pakistan dans de telles actions et son éloignement de l’Iran afin de maintenir le Pakistan hors de l’influence des pays révisionnistes de la région, comme l’Iran, par le biais de liens économiques.

    La deuxième raison pour l’Arabie saoudite est l’augmentation des exportations de pétrole de l’Iran après la reprise des négociations du JCPOA (accord sur le nucléaire iranien). Après s’être retiré du JCPOA en mai 2018, Trump a cherché à réduire à zéro les exportations de pétrole de l’Iran. L’Arabie saoudite a salué la décision de Trump et a promis aux États-Unis et à la communauté internationale de compenser le manque d’approvisionnement en pétrole iranien pour éviter une hausse soudaine des prix du pétrole. Cependant, le vent a tourné et le prochain président américain, Joe Biden, a décidé de reprendre les pourparlers du JCPOA avec l’Iran et de lever les sanctions pétrolières à son encontre.

    L’Arabie saoudite est bien consciente que l’Iran sera fortement dépendant des exportations de pétrole pour relancer son économie affaiblie après la relance du JCPOA sous la nouvelle présidence d’Ebrahim Raisi, et qu’il retrouvera rapidement ses marchés passés. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a envoyé un message de félicitations au nouveau président, appelant à une coopération plus étroite et à des liens forts avec lui. L’Arabie saoudite tente d’aliéner Imran Khan de Téhéran en menaçant de couper son accord pétrolier pour empêcher le Pakistan d’avoir des liens étroits avec l’Iran et de conclure tout accord pétrolier d’Islamabad avec Téhéran.

    La troisième raison pour laquelle l’Arabie saoudite entretient des liens étroits avec le Pakistan est la situation de crise sécuritaire en Afghanistan. Après que les États-Unis ont annoncé le retrait de 2 500 soldats d’Afghanistan le 11 septembre 2021, les forces talibanes ont commencé à progresser militairement et ont réussi, en juin, à prendre le contrôle d’un tiers du pays. Ils détiennent désormais près de deux fois plus de territoire afghan qu’il y a deux mois. La semaine dernière, les services de renseignement américains ont conclu que le gouvernement afghan pourrait s’effondrer dès six mois après l’achèvement du retrait militaire américain du pays, selon des responsables au fait de cette nouvelle évaluation.

    Au cours de la dernière décennie, les relations entre l’Arabie saoudite et le Pakistan avec les talibans en Afghanistan se sont affaiblies et, inversement, les relations entre l’Iran et les talibans se sont renforcées. Les talibans ont agi dans les affaires de relations internationales par l’intermédiaire du Qatar, et l’Iran entretient de bonnes relations avec ce pays. Le Qatar peut donc servir d’intermédiaire pour renforcer l’influence de l’Iran en Afghanistan et parmi les talibans, ce qui, après le retrait complet des troupes américaines d’Afghanistan, a conduit à une influence généralisée. Le Pakistan a également des intérêts avec l’Arabie saoudite à bloquer l’influence de l’Iran en Afghanistan, et l’Arabie saoudite veut éliminer ou affaiblir l’influence de l’Iran en Afghanistan en établissant de bonnes relations avec le Pakistan.

    De plus, avec l’achèvement du fondamentalisme et du terrorisme en Afghanistan, qui est le résultat de la présence des talibans en Afghanistan, le pays deviendra une source d’instabilité et d’exportation de drogue dans le monde, et dans les décennies à venir, il sera une possible future préoccupation de sécurité interne des États-Unis et le Pakistan sera le point d’accès des États-Unis à l’Afghanistan. L’Arabie saoudite en est bien consciente et veut être au Pakistan pour avoir un pouvoir de négociation avec les États-Unis.

    L’Iran est l’une des plus grandes préoccupations de l’Arabie saoudite dans la région, et le Pakistan pourrait être un grand obstacle pour accroître l’influence de l’Iran dans la région. Le Pakistan est un pays qui a de bonnes relations à la fois avec l’Arabie saoudite et l’Iran, il pourrait donc être la meilleure option pour l’Arabie saoudite pour limiter l’influence de l’Iran dans la région.

    Auteur:  Mohammad Salami  Docteur en relations internationales. Il écrit en tant qu’analyste et chroniqueur dans divers médias. Son domaine d’expertise est celui des questions relatives au Moyen-Orient, notamment les pays du CCG, en particulier l’Arabie saoudite.

    (Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale ou les opinions de World Geostrategic Insights).

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